Rapport de l’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2022 : une année et un contexte hors norme
Communiqué de presse
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a présenté le 25 mai aux parlementaires de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), son rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2022. À cette occasion, l’ASN a demandé que les réflexions menées dans le cadre de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) abordent le nucléaire de manière systémique.
L’ASN souligne qu’en 2022, la sûreté des installations nucléaires, ainsi que la radioprotection dans les secteurs industriel, médical et du transport de substances radioactives se sont maintenues à un niveau satisfaisant [1].
Toutefois, l’année 2022 a été marquée par plusieurs aléas sur les installations nucléaires jamais rencontrés jusqu’alors, tels que le nombre et la durée des arrêts de réacteurs d’EDF durant l’hiver 2022-2023, et par des fragilités qui persistent dans les installations du cycle du combustible. Ces événements confirment l’importance de disposer de marges et d’anticiper les enjeux de sûreté et de radioprotection de manière globale, dans un système nucléaire interdépendant.
Dans ce contexte, l’ASN estime qu’un travail sur la sécurisation industrielle pour les 15 à 20 ans à venir d’une partie significative des installations actuelles doit être anticipé dans le cadre de la future PPE, pour éviter le risque d’impasse au sein du système nucléaire.
L’été 2022 a été l’objet d’une canicule et d’une sécheresse d’une rare intensité qui ont conduit l’ASN, pour la première fois depuis 2003, à prendre des décisions exceptionnelles permettant de déroger aux prescriptions de rejets thermiques et de maintenir en fonctionnement cinq réacteurs. Cette situation n’a pas eu de conséquence sur la sûreté nucléaire.
Pour l’ASN, la gestion des conséquences de ce type d’épisodes extrêmes nécessite une consolidation des connaissances scientifiques sur l’impact environnemental cumulé des rejets, ainsi qu’une réflexion sur les évolutions technologiques à intégrer et les capacités d’adaptation des installations à prévoir. Ces réflexions doivent être menées dans le cadre d’une approche globale et de long terme, avec l’ensemble des parties prenantes, au niveau des territoires et des bassins versants.
L’année a aussi été celle des débats engagés sur le mix énergétique français et sur les nouvelles perspectives nucléaires, qu’il s’agisse de poursuite de fonctionnement des installations existantes ou de la création de nouvelles installations. Ils s’inscrivent tout à la fois dans le prolongement du discours de Belfort du Président de la République et dans le contexte de la guerre en Ukraine et de tensions internationales, qui renforcent les enjeux de souveraineté énergétique et de réindustrialisation.
Depuis deux ans, pour aller au-delà de ses missions traditionnelles d’inspection des exploitants et des fabricants, et dans la perspective du développement d’un nouveau programme nucléaire, l’ASN a réalisé des contrôles par sondage dans l’ensemble de la chaîne de sous-traitance nucléaire et sur la gestion de projet des exploitants. Les résultats des contrôles réalisés en 2022 montrent que les capacités techniques de la chaîne d’approvisionnement nucléaire restent un point important de vigilance.
Dans ce contexte, l’ASN souhaite que les donneurs d’ordre de la filière renforcent significativement leur vigilance sur les « capacités à faire » de leur chaîne d‘approvisionnement, au regard de l’ampleur des nouveaux projets et de la poursuite d’exploitation des réacteurs actuels.
Les sujets d’actualité
Un phénomène inattendu de corrosion sous contrainte sur le parc nucléaire rappelle le besoin de marges pour la sûreté
En 2022, l’exploitation du parc de réacteurs d’EDF a été marquée par les conséquences de la découverte d’un phénomène de corrosion sous contrainte sur des circuits raccordés au circuit primaire. L’ASN considère que les actions engagées par EDF pour y faire face ont été satisfaisantes sur le plan de la sûreté. Elles ont permis d’établir un diagnostic des installations concernées, de donner de premières explications du phénomène, d’identifier les parties de circuit et les soudures les plus sensibles, et enfin d’établir une stratégie priorisée de contrôle et de réparation, récemment adaptée, qui a été jugée appropriée par l’ASN.
Cette situation illustre les difficultés que pourrait connaître l’approvisionnement en électricité en cas de problème générique concernant simultanément plusieurs réacteurs. L’ASN avait souligné dès 2013 la nécessité de disposer de marges suffisantes dans le système électrique pour faire face à un événement de ce type.
La mise en service de l’EPR reste conditionnée aux dernières étapes à franchir
En 2022, EDF a poursuivi les travaux en vue de la mise en service de l’EPR de Flamanville, et notamment la requalification de l’installation après les modifications et les réparations effectuées. Toutefois, l’ASN souligne qu’un travail important reste à faire, en amont de la mise en service, pour réaliser la dernière campagne d’essais à chaud sur site et terminer les justifications de la conformité des équipements sous pression nucléaires.
Des projets de petits réacteurs innovants soulèvent des questions de sûreté inédites
Dans le contexte d’objectif de production d’énergie décarbonée, les SMR (Small modular reactor) font l’objet d’un engouement dans le monde, notamment des pays non nucléarisés. Cela ne doit pas occulter les questions de sécurité et de sûreté nucléaires qui se posent pour ces réacteurs. En 2022, l’ASN a poursuivi ses échanges avec plusieurs entreprises françaises développant des projets de SMR de différentes technologies. À l’initiative de l’ASN, les autorités de sûreté française, finlandaise et tchèque ont engagé, avec leurs appuis techniques respectifs, l’examen préliminaire des principales options de sûreté du projet Nuward porté par EDF. Les conclusions de leur évaluation conjointe seront partagées avec les autorités de sûreté européennes. Pour l’ASN, ce type d’initiative concrète sur des conceptions de réacteurs à maturité suffisante constitue une étape indispensable pour une meilleure convergence des exigences de sûreté pour les SMR.
Les appréciations de l’ASN
L’ASN exerce sa mission de contrôle en utilisant, de façon complémentaire et adaptée à chaque situation, l’encadrement réglementaire, les décisions individuelles, l’inspection et, si nécessaire, des actions de coercition et de sanction. L’ASN rend compte de sa mission et porte une appréciation sur les actions de chaque exploitant et par domaine d’activité. Au cours de l’année 2022, l’ASN a réalisé 1 868 inspections dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
Le contrôle des installations d’EDF
L’ASN observe que la qualité d’exploitation des centrales nucléaires s’est maintenue à un niveau satisfaisant en 2022. Toutefois, l’amélioration de la qualité d’exploitation de certaines centrales s’avère souvent longue (notamment pour Golfech et Gravelines en 2022 et Dampierre-en-Burly début 2023).
L’ASN considère que les actions engagées par EDF pour faire face au phénomène de la corrosion sous contrainte ont été appropriées sur le plan de la sûreté nucléaire et que les découpes de tronçons de tuyauterie réalisées afin de mener des expertises étaient indispensables à la définition d’une stratégie de contrôle et de traitement pertinente.
Le contrôle des installations d’Orano
Les installations exploitées par Orano, implantées sur les sites de La Hague, du Tricastin et de Marcoule, présentent toutes des enjeux de sûreté importants mais de natures différentes, à la fois chimiques et radiologiques. Malgré des avancées en 2022 en matière de gestion des substances radioactives sur les sites de La Hague et du Tricastin, et un plan d’action d’envergure visant à surmonter les difficultés de production de Melox, ainsi que les risques de saturation des entreposages de matières radioactives, l’ASN souligne que le fonctionnement du « cycle du combustible » présente toujours très peu de marges et demeure un point de vigilance. L’ASN insiste une nouvelle fois sur la nécessité de renforcer notablement les démarches d’anticipation et d’amélioration de la qualité des dossiers remis.
Le contrôle des installations du CEA
Les installations nucléaires exploitées par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sont en large majorité concernées par la stratégie de démantèlement et de gestion des substances radioactives mise en œuvre par l’exploitant. L’ASN observe que la sûreté de ces installations reste maîtrisée, mais constate que les projets de démantèlement et de gestion des déchets présentent des résultats contrastés et restent exposés à des aléas majeurs (techniques, contractuels, financiers). Elle estime à cet égard que le CEA doit renforcer la maîtrise de ces projets.
L’ASN estime, par ailleurs, que la mise en œuvre des « grands engagements de sûreté » pilotés au plus haut niveau du CEA, permet d’améliorer le suivi des actions relatives aux enjeux de sûreté nucléaire et de radioprotection les plus importants.
Le contrôle des installations de l’Andra
L’ASN considère que le dépôt de la demande d'autorisation de création de Cigéo le 16 janvier 2023 marque une étape majeure dans la gestion des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Les modalités d’instruction de cette demande, qui s’étalera sur une période d’au moins trois ans, ont été définies en 2022 en liaison avec l’ensemble des parties prenantes et le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Elles permettront de prendre en compte toutes les questions techniques de la part des parties prenantes à chacune des étapes du processus d’instruction.
Les appréciations de l’ASN concernant le domaine médical
L’ASN considère que l’état de la radioprotection dans le domaine médical se maintient à un bon niveau avec toutefois des fragilités persistantes. La forte tension, en particulier sur les moyens humains, a conduit à la mise en place de nouvelles organisations de travail, notamment multi-sites ou faisant appel à des intervenants extérieurs. L’ASN a été particulièrement vigilante à ce que ces nouvelles organisations n’engendrent pas un recul de la radioprotection.
Sur la base des observations tirées des inspections conduites en 2022 et d’une analyse faite sur la période 2018-2022, la culture de la radioprotection reste perfectible en particulier dans le domaine des pratiques interventionnelles radioguidées, pour lesquelles la formation des personnels à la radioprotection des patients et des travailleurs peine à progresser.
Les évènements significatifs de radioprotection restent en nombre très faible comparé au grand nombre d’actes réalisés, mais la répétition de certains évènements montre que le retour d’expérience d’événements anciens est parfois oublié. Ces événements nous rappellent que la culture de radioprotection n’est jamais acquise, mais doit être entretenue.
L’ASN promeut toutes les actions susceptibles de concourir à la mise en œuvre des principes de justification et d’optimisation. A ce titre, l’ASN a insisté sur l’importance et la plus-value des audits cliniques externes par les pairs, en particulier dans les domaines à fort enjeu et soutient leur mise en place en particulier en radiothérapie et en scanographie. Par ailleurs, la part importante des traitements par radiothérapie en oncologie et l’amélioration de la survie rend d’autant plus importante l’évaluation des effets radio-induits à long terme. L’ASN rappelle ainsi la nécessité de la mise en place de registres de suivi pour permettre une meilleure évaluation de ces effets radio-induits à long terme, en particulier pour les nouvelles pratiques comme l’hypofractionnement ou la flash-thérapie.
A consulter dans le Rapport de l’ASN
Contact presse :
Evangelia Petit, cheffe du pôle presse ASN : 01 46 16 41 42 - evangelia.petit@asn.fr
[ 1 ] Le nombre d’événements significatifs de niveau 1 et 2 classés sur l’échelle INES est en baisse depuis 4 ans (97 événements en 2022, contre 104 en 2021, 107 en 2020 et 115 en 2019) et aucun événement de niveau 2 n’a été déclaré en 2022 sur les installations nucléaires. Par ailleurs, les réexamens de sûreté conduits tous les 10 ans sont menés de manière globalement satisfaisante par tous les exploitants, ce qui permet de faire progresser le niveau de sûreté et de radioprotection.
Date de la dernière mise à jour : 18/03/2024