La conception radiologique dans la gestion post-accidentelle soviétique
Dans les premières heures après l'explosion du réacteur n°4, un ordre de confinement est diffusé auprès des habitants de Prypiat, ville voisine de la centrale, et des comprimés d'iode stable leur sont distribués. Le lendemain, décision est prise d'évacuer totalement la ville.
Pour protéger la santé des populations, immédiatement après l'accident de Tchernobyl puis dans les mois et les années qui ont suivi, de nombreuses contre-mesures ont été mises en place, guidées par des critères radiologiques. Notamment :
- l'établissement dune limite de dose individuelle annuelle pour les populations,
- la définition de différentes zones sur le territoire contaminé (zones d'exclusion, d'éloignement provisoire de la population, de contrôle radiologique strict),
- les contre-mesures agricoles (gestion des productions contaminées, modification des techniques agricoles, des espèces cultivées,...),
- les restrictions sur la commercialisation et la consommation des aliments contaminés.
Entre 1986 et 1991, les critères radiologiques qui guident l'action publique deviennent de plus en plus stricts. Ainsi, la limite de dose annuelle, fixée par les autorités soviétiques à 100 mSv/an en 1986, passera à 5 mSv/an, puis à 1 mSv/an en 1991.
L'éclatement de l'URSS en 1990, puis la naissance des Républiques indépendantes de Biélorussie, de Russie et d'Ukraine, entraîneront des modifications importantes du dispositif de gestion post- accidentel.
Les mesures d'urgence
Dans les premières heures après l'explosion du réacteur n°4, un ordre de confinement est diffusé auprès des habitants de Prypiat, ville voisine de la centrale, et des comprimés d'iode stable leur sont distribués. Le lendemain, décision est prise d'évacuer totalement la ville.
Du 27 avril au 2 mai 1986, toutes les personnes (plus de 100 000 habitants) et les animaux (60 000 bêtes) vivant dans un rayon de 30 km autour de la centrale sont évacués. L'évacuation concerne également les zones où les débits de dose dépassent 50 µSv/h.
Début mai, les premières mesures de restriction sont établies pour les aliments contaminés en iode 131 (par ex. le lait et l'eau contaminés à plus de 3 700 Bq/kg ou le poisson contaminé à plus de 37 000 Bq/kg).
Une distribution de comprimés d'iode stable (limitée et trop tardive) se met en place pour les personnes résidant au-delà du rayon des 30 km. Des milliers de personnels civils et militaires (les "liquidateurs") sont mobilisés pour lutter contre l'incendie et appliquer les mesures d'urgence.
Le 9 mai, l'incendie du coeur de la centrale est maîtrisé. Les rejets radioactifs du réacteur seront arrêtés fin mai 1986.
La mise en place du dispositif post-accidentel soviétique
La phase post-accidentelle débute avec l'arrêt des rejets radioactifs fin mai 1986. Diverses contre- mesures sont alors édictées par les autorités soviétiques : limites de dose, zonages, relogements, restrictions de la consommation d'aliments contaminés, contre-mesures agricoles, etc.
Parallèlement, de grands travaux sont entrepris:
- construction d'un sarcophage en béton et en acier autour du réacteur (de mai à novembre 1986)
- travaux hydrologiques sur les fleuves Prypiat et Dniepr (construction de plus de 100 km de digues, de 14 réservoirs et de 18 barrages) pour éviter une contamination étendue des eaux potables.
Enfin, plusieurs centaines de sites de stockage de déchets radioactifs sont créés dans la zone d'exclusion.
Août 1986 : un premier bilan international
En août 1986, la zone d'exclusion (d'un rayon de 30 km autour de la centrale) est définitivement fixée.
Le mois d'août voit également l'organisation à Vienne de la première réunion d'experts techniques qui établissent un premier bilan sanitaire de la catastrophe.
Fin 1986
D'autres mesures et actions viennent compléter le dispositif : construction de logements pour les populations évacuées, décontamination des véhicules, des routes et des bâtiments publics, contrôle radiologique des personnes et des aliments.
L'évolution des critères de protection radiologique
Avant l'accident de Tchernobyl
Avant 1986, il existait déjà des lois (votées en 1971, révisées en 1981 et 1983) définissant des niveaux d'action en cas d'accident nucléaire.
Ces niveaux d'action reposent sur 3 indicateurs:la dose efficace externe, la dose équivalente à la thyroïde et la contamination du lait en iode 131.
Pour chacun de ces 3 indicateurs, les lois définissent :
- un niveau inférieur, en dessous duquel aucune contre-mesure n'est requise ;
- un niveau supérieur, au-delà duquel la mise en place de contre-mesures est obligatoire.
Entre ces deux niveaux, il est possible mais non obligatoire de mettre en place des contre-mesures.
Les valeurs des niveaux d'intervention étaient les suivantes :
Indicateur | Niveau inférieur | Niveau supérieur |
Dose efficace externe | 0,25 Gy | 0,75 Gy |
Dose équivalente à la thyroïde | 0,3 Gy | 2,5 Gy |
Contamination du lait en iode 131 | 3,7 Bq/L | 37 Bq/L |
L'accident de Tchernobyl et la phase de transition
Au moment de l'accident de Tchernobyl, les niveaux d'intervention existants ne seront pas utilisés. Suite à l'accident, de nouvelles limites de doses sont instaurées par les autorités soviétiques.
Une limite annuelle de dose efficace totale pour les personnes de 100 mSv est fixée pour l'année 1986. Elle est abaissée à 30 mSv en 1987, puis à 25 mSv/an en 1988.
La tentative d'un "retour à la normalité"
A partir de novembre 1988, le ministère de la Santé soviétique élabore une politique pour l'ensemble de la gestion post-accidentelle sur le long terme.
Cette politique se fonde sur la définition d'une limite unique d'exposition radiologique de 5 mSv/an sur 70 ans (soit 350 mSv pour la vie).
En-dessous de cette norme, aucune mesure n'est requise. Au-dessus de cette norme, les populations doivent être relogées..La délimitation des zones de relogement dépendra du calcul de l'exposition radiologique des personnes, en fonction niveau de contamination des sols.
Le choix de cette norme est fortement critiqué et jugé trop laxiste, notamment par les républiques socialistes soviétiques de Biélorussie et d'Ukraine.
Parallèlement, la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) propose un niveau de référence de 1 mSv/an.
La dose-vie revue en 1991
En avril 1990, les autorités soviétiques abandonnent le concept des 350 mSv dose-vie.. L'alignement sur les recommandations de la CIPR en 1991 fera augmenter d'un facteur 4 la superficie du territoire biélorusse administrativement considérée (voir tableau ci-dessous).
Norme | Population concernée | Superficie du territoire concerné |
5 mSv/an | 150 000 pers. | 13 000 km² |
1 mSv/an | 1 600 000 pers. | 50 000 km² |
Les critères de zonage du territoire et leur évolution
A partir de mai 1986, les autorités soviétiques divisent le territoire en zones, selon le niveau de contamination de l'environnement.
Le premier zonage, établi en mai 1986, définit 3 types de zones en fonction du débit de dose ambiant :
Critère (débit de dose) | Statut du territoire |
De 30 à 50 mSv/h | Contrôle radiologique strict. Les enfants et les femmes enceintes sont évacués. |
De 50 à 200 µSv/h | Eloignement provisoire des populations jusqu'au retour d'une situation "normale" |
> 200 µSv/h | Zone d'exclusion |
En juillet 1986, un nouveau zonage est mis en place, fondé sur les niveaux de contamination des sols en césium 137:
Critère (Contamination du sol en Césium 137) | Statut du territoire |
< 37 kBq/m² (< 1 Ci/km²) | Pas de limitations |
De 37 à 185 kBq/m² (1 à 5 Ci/km²) | Contrôle radiologique partiel |
De 185 à 555 kBq/m² (5 à 15 Ci/km²) | Contrôle radiologique périodique |
De 555 à 925 kBq/m² (15 à 25 Ci/km²) | Contrôle radiologique systématique et permanent, possibilité de relogement |
De 925 à 1.480 kBq/m² (25 à 40 Ci/km²) | Relogement temporaire |
De 1.480 à 3.700 kBq/m² (40 à 100 Ci/km²) | Relogement obligatoire |
> 3.700 kBq/m² (> 100 Ci/km²) | Zone d'exclusion |
Les contre-mesures agricoles
Dès 1986, les autorités soviétiques mettent en place un premier ensemble de contre-mesures agricoles, dont :
- une rotation des cultures ;
- la promotion des cultures agricoles qui concentrent le moins les éléments radioactifs ;
- le drainage des sols ;
- l'ajout d’engrais et de chaux.
A partir de 1987, le gouvernement publie un guide des contre-mesures agricoles contenant un ensemble de prescriptions et de recommandations.
Il est notamment autorisé de mener une activité agricole aux frontières des zones d’exclusion et de consommer des produits contaminés à condition qu’ils soient mélangés à des aliments propres.
En 1988, les autorités soviétiques publient un nouveau guide. Celui-ci formule des recommandations plus précises en fonction de la contamination des terres en césium 137 :
Critère (Contamination du sol en Césium 137) | Recommandations |
< 555 kBq/m² (<15 Ci/km²) | Contrôle radiologique optionnel |
De 555 à 1 480 kBq/m² (15 à 40 Ci/km²) | Contrôle radiologique périodique et ajout d’engrais minéraux |
De 1 480 à 2 960 kBq/m² (40 à 80 Ci/km²) | Contrôle radiologique obligatoire, production privée autorisée au cas par cas, élevage interdit |
Les normes de consommation et de commercialisation des produits alimentaires
Dès l'été 1986, des normes de consommation et de commercialisation sont édictées en Biélorussie pour les aliments contaminés en césium 137. Ces normes sont calculées à partir d'un régime alimentaire moyen et des limites de dose individuelle.
La contamination maximale fixée pour les produits alimentaires est de :
- 370 Bq/kg pour le lait ;
- 3 700 Bq/kg pour les produits laitiers ;
- 3 700 Bq/kg pour les pommes de terre et la viande.
Après la catastrophe de Tchernobyl, la Communauté Européenne établit des limites de contamination pour les échanges de produits alimentaires intracommunautaires et avec des pays tiers.
Le règlement CEE 1707/86 (remplacé en 1990 par le règlement CEE 737/90) interdit ainsi d'importer dans la Communauté Européenne des denrées alimentaires contenant :
- plus de 370 Bq/kg de césium 137 pour le lait et les aliments pour nourrissons ;
- plus de 600 Bq/kg de césium 137 pour toute autre denrée alimentaire.
Ces limites ferment le territoire européen à une part importante des denrées alimentaires issues des territoires affectés par la catastrophe.
Des normes de plus en plus restrictives
Les normes soviétiques sont révisées en 1987, 1988 et 1990 et deviennent de plus en plus strictes. En 1990, elles sont de :
- 370 Bq/kg pour le lait et les produits laitiers ;
- 600 Bq/kg pour les pommes de terre ;
- 740 Bq/kg pour la viande.
Enfin, en 1990, après avoir proclamé son indépendance, la République de Biélorussie introduit des normes de consommation nationales encore plus drastiques :
- 185 Bq/kg pour le lait et les produits laitiers ;
- 592 Bq/kg pour les pommes de terre et la viande.