1986-1991 : passage de la phase accidentelle à la phase post-accidentelle

Le 26 avril 1986, le réacteur n° 4 de la centrale de Tchernobyl explose et prend feu. Dès le lendemain, les autorités soviétiques évacuent la ville de Prypiat (45.000 habitants), voisine de la centrale. Toutes les localités situées dans un rayon de 30 km autour du lieu de l'accident (130.000 personnes) sont évacuées le 2 mai. Une mobilisation exceptionnelle des moyens de L’État

Des liquidateurs lavent le toit d'une maison
Des liquidateurs lavent le toit d'une maison

Les rejets de la centrale (près de 12 milliards de milliards de becquerels au total) sont arrêtés à la fin du mois de mai 1986.
 Les premières restrictions de consommation des aliments contaminés sont édictées fin mai 1986 par les autorités soviétiques. En juillet et août, un premier zonage des territoires autour de la centrale (6 types de zones) est défini en fonction du niveau de contamination des sols en césium 137. Ce zonage définit les mesures à appliquer sur les différentes parties du territoire contaminé.

De mai à novembre de la même année, plusieurs centaines de milliers de militaires et de civils (les "liquidateurs") sont mobilisés pour éteindre l’incendie et construire un sarcophage de béton et d'acier (300 000 tonnes) autour du réacteur n°4.

Puis, jusqu'en mai 1990, ces liquidateurs mettent en place des mesures techniques dans les zones les plus contaminées afin de réduire l’impact de la contamination sur les habitants :

  • décontamination des habitations,
  • travaux hydrologiques,
  • gestion des déchets radioactifs

Une stratégie post-accidentelle structurée par les critères radiologiques

En novembre 1988, les autorités soviétiques fixent une limite de dose annuelle de 5 mSv/an "pour des conditions de vie en sécurité". Cette norme ne tient cependant pas compte des doses reçues pendant la phase accidentelle et post-accidentelle immédiate.

Dans les zones où l'exposition des personnes est inférieure à 5 mSv/an, les activités humaines doivent pouvoir se poursuivre sans intervention spécifique.
 Dans les zones où l'exposition des personnes est supérieure, les populations doivent être relogées et un dispositif public post-accidentel doit être déployé. Cette doctrine sera abandonnée en avril 1990.

En 1989, les experts biélorusses révèlent l’émergence de pathologies de la thyroïde dues à l’accident. La même année, l’URSS demande à l’Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) de réaliser une évaluation internationale sur les conséquences radiologiques de l’accident et sur les mesures de protection des populations. Cette étude sera menée en 1990-1991. Ses résultats, qui valident la gestion post-accidentelle soviétique, sont présentés à Vienne en mai 1991.

En 1991, l'URSS éclate et les républiques socialistes soviétiques proclament leur indépendance. Ce bouleversement politique va modifier profondément le mode de prise en charge de la gestion des conséquences de l’accident de Tchernobyl.

La conception radiologique dans la gestion post-accidentelle soviétique

Des liquidateurs mesurent le niveau de radioactivité ambiant
Des liquidateurs mesurent le niveau de radioactivité ambiant

Dans les premières heures après l'explosion du réacteur n°4, un ordre de confinement est diffusé auprès des habitants de Prypiat, ville voisine de la centrale, et des comprimés d'iode stable leur sont distribués. Le lendemain, décision est prise d'évacuer totalement la ville.

Pour protéger la santé des populations, immédiatement après l'accident de Tchernobyl puis dans les mois et les années qui ont suivi, de nombreuses contre-mesures ont été mises en place, guidées par des critères radiologiques. Notamment :

  • l'établissement dune limite de dose individuelle annuelle pour les populations,
  • la définition de différentes zones sur le territoire contaminé (zones d'exclusion, d'éloignement provisoire de la population, de contrôle radiologique strict),
  • les contre-mesures agricoles (gestion des productions contaminées, modification des techniques agricoles, des espèces cultivées,...),
  • les restrictions sur la commercialisation et la consommation des aliments contaminés.

Entre 1986 et 1991, les critères radiologiques qui guident l'action publique deviennent de plus en plus stricts. Ainsi, la limite de dose annuelle, fixée par les autorités soviétiques à 100 mSv/an en 1986, passera à 5 mSv/an, puis à 1 mSv/an en 1991.
 L'éclatement de l'URSS en 1990, puis la naissance des Républiques indépendantes de Biélorussie, de Russie et d'Ukraine, entraîneront des modifications importantes du dispositif de gestion post- accidentel.

Les mesures d'urgence

Lutte contre l'incendie sur la centrale de Tchernobyl
Lutte contre l'incendie sur la centrale de Tchernobyl

Dans les premières heures après l'explosion du réacteur n°4, un ordre de confinement est diffusé auprès des habitants de Prypiat, ville voisine de la centrale, et des comprimés d'iode stable leur sont distribués. Le lendemain, décision est prise d'évacuer totalement la ville.

Du 27 avril au 2 mai 1986, toutes les personnes (plus de 100 000 habitants) et les animaux (60 000 bêtes) vivant dans un rayon de 30 km autour de la centrale sont évacués. L'évacuation concerne également les zones où les débits de dose dépassent 50 µSv/h.

Début mai, les premières mesures de restriction sont établies pour les aliments contaminés en iode 131 (par ex. le lait et l'eau contaminés à plus de 3 700 Bq/kg ou le poisson contaminé à plus de 37 000 Bq/kg).

Une distribution de comprimés d'iode stable (limitée et trop tardive) se met en place pour les personnes résidant au-delà du rayon des 30 km. Des milliers de personnels civils et militaires (les "liquidateurs") sont mobilisés pour lutter contre l'incendie et appliquer les mesures d'urgence.

Le 9 mai, l'incendie du coeur de la centrale est maîtrisé. Les rejets radioactifs du réacteur seront arrêtés fin mai 1986.

La mise en place du dispositif post-accidentel soviétique

Le sarcophage autour de la centrale de Tchernobyl
Le sarcophage autour de la centrale de Tchernobyl

La phase post-accidentelle débute avec l'arrêt des rejets radioactifs fin mai 1986. Diverses contre- mesures sont alors édictées par les autorités soviétiques : limites de dose, zonages, relogements, restrictions de la consommation d'aliments contaminés, contre-mesures agricoles, etc.

Parallèlement, de grands travaux sont entrepris:

  • construction d'un sarcophage en béton et en acier autour du réacteur (de mai à novembre 1986)
  • travaux hydrologiques sur les fleuves Prypiat et Dniepr (construction de plus de 100 km de digues, de 14 réservoirs et de 18 barrages) pour éviter une contamination étendue des eaux potables.

 Enfin, plusieurs centaines de sites de stockage de déchets radioactifs sont créés dans la zone d'exclusion.

Août 1986 : un premier bilan international

En août 1986, la zone d'exclusion (d'un rayon de 30 km autour de la centrale) est définitivement fixée.
 Le mois d'août voit également l'organisation à Vienne de la première réunion d'experts techniques qui établissent un premier bilan sanitaire de la catastrophe.

Fin 1986

D'autres mesures et actions viennent compléter le dispositif : construction de logements pour les populations évacuées, décontamination des véhicules, des routes et des bâtiments publics, contrôle radiologique des personnes et des aliments.

L'évolution des critères de protection radiologique

Avant l'accident de Tchernobyl

Poste de garde à l'entrée de la zone d'exclusion
Poste de garde à l'entrée de la zone d'exclusion

Avant 1986, il existait déjà des lois (votées en 1971, révisées en 1981 et 1983) définissant des niveaux d'action en cas d'accident nucléaire.
 Ces niveaux d'action reposent sur 3 indicateurs:la dose efficace externe, la dose équivalente à la thyroïde et la contamination du lait en iode 131.

Pour chacun de ces 3 indicateurs, les lois définissent :

  • un niveau inférieur, en dessous duquel aucune contre-mesure n'est requise ;
  • un niveau supérieur, au-delà duquel la mise en place de contre-mesures est obligatoire.

Entre ces deux niveaux, il est possible mais non obligatoire de mettre en place des contre-mesures.
 Les valeurs des niveaux d'intervention étaient les suivantes :

Indicateur

Niveau inférieur

Niveau supérieur

Dose efficace externe

0,25 Gy

0,75 Gy

Dose équivalente à la thyroïde

0,3 Gy

2,5 Gy

Contamination du lait en iode 131

3,7 Bq/L

37 Bq/L

L'accident de Tchernobyl et la phase de transition

Au moment de l'accident de Tchernobyl, les niveaux d'intervention existants ne seront pas utilisés. Suite à l'accident, de nouvelles limites de doses sont instaurées par les autorités soviétiques.

Une limite annuelle de dose efficace totale pour les personnes de 100 mSv est fixée pour l'année 1986. Elle est abaissée à 30 mSv en 1987, puis à 25 mSv/an en 1988.

La tentative d'un "retour à la normalité"

A partir de novembre 1988, le ministère de la Santé soviétique élabore une politique pour l'ensemble de la gestion post-accidentelle sur le long terme.
 Cette politique se fonde sur la définition d'une limite unique d'exposition radiologique de 5 mSv/an sur 70 ans (soit 350 mSv pour la vie).

En-dessous de cette norme, aucune mesure n'est requise. Au-dessus de cette norme, les populations doivent être relogées..La délimitation des zones de relogement dépendra du calcul de l'exposition radiologique des personnes, en fonction niveau de contamination des sols.
 Le choix de cette norme est fortement critiqué et jugé trop laxiste, notamment par les républiques socialistes soviétiques de Biélorussie et d'Ukraine.

Parallèlement, la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) propose un niveau de référence de 1 mSv/an.

La dose-vie revue en 1991

En avril 1990, les autorités soviétiques abandonnent le concept des 350 mSv dose-vie.. L'alignement sur les recommandations de la CIPR en 1991 fera augmenter d'un facteur 4 la superficie du territoire biélorusse administrativement considérée (voir tableau ci-dessous).

Norme

Population concernée

Superficie du territoire concerné

5 mSv/an

150 000 pers.
 (1,5 % de la population biélorusse)

13 000 km²
 (6 % du territoire biélorusse)

1 mSv/an

1 600 000 pers.
 (15 % de la population biélorusse)

50 000 km²
 (24 % du territoire biélorusse)

Les critères de zonage du territoire et leur évolution

A partir de mai 1986, les autorités soviétiques divisent le territoire en zones, selon le niveau de contamination de l'environnement.

Le premier zonage, établi en mai 1986, définit 3 types de zones en fonction du débit de dose ambiant :

Critère (débit de dose)

Statut du territoire

De 30 à 50 mSv/h

Contrôle radiologique strict. Les enfants et les femmes enceintes sont évacués.

De 50 à 200 µSv/h

Eloignement provisoire des populations jusqu'au retour d'une situation "normale"

> 200 µSv/h

Zone d'exclusion

En juillet 1986, un nouveau zonage est mis en place, fondé sur les niveaux de contamination des sols en césium 137:

Critère (Contamination du sol en Césium 137)

Statut du territoire

< 37 kBq/m² (< 1 Ci/km²)

Pas de limitations

De 37 à 185 kBq/m² (1 à 5 Ci/km²)

Contrôle radiologique partiel

De 185 à 555 kBq/m² (5 à 15 Ci/km²)

Contrôle radiologique périodique

De 555 à 925 kBq/m² (15 à 25 Ci/km²)

Contrôle radiologique systématique et permanent, possibilité de relogement

De 925 à 1.480 kBq/m² (25 à 40 Ci/km²)

Relogement temporaire

De 1.480 à 3.700 kBq/m² (40 à 100 Ci/km²)

Relogement obligatoire

> 3.700 kBq/m² (> 100 Ci/km²)

Zone d'exclusion

Les contre-mesures agricoles

Labour à Olmany
Labour à Olmany

Dès 1986, les autorités soviétiques mettent en place un premier ensemble de contre-mesures agricoles, dont :

  • une rotation des cultures ;
  • la promotion des cultures agricoles qui concentrent le moins les éléments radioactifs ;
  • le drainage des sols ;
  • l'ajout d’engrais et de chaux.

A partir de 1987, le gouvernement publie un guide des contre-mesures agricoles contenant un ensemble de prescriptions et de recommandations.
 Il est notamment autorisé de mener une activité agricole aux frontières des zones d’exclusion et de consommer des produits contaminés à condition qu’ils soient mélangés à des aliments propres.

En 1988, les autorités soviétiques publient un nouveau guide. Celui-ci formule des recommandations plus précises en fonction de la contamination des terres en césium 137 :

Critère (Contamination du sol en Césium 137)

Recommandations

< 555 kBq/m² (<15 Ci/km²)

Contrôle radiologique optionnel

De 555 à 1 480 kBq/m² (15 à 40 Ci/km²)

Contrôle radiologique périodique et ajout d’engrais minéraux

De 1 480 à 2 960 kBq/m² (40 à 80 Ci/km²)

Contrôle radiologique obligatoire, production privée autorisée au cas par cas, élevage interdit

Les normes de consommation et de commercialisation des produits alimentaires

Un poste de contrôle radiologique des produits alimentaires
Un poste de contrôle radiologique des produits alimentaires

Dès l'été 1986, des normes de consommation et de commercialisation sont édictées en Biélorussie pour les aliments contaminés en césium 137. Ces normes sont calculées à partir d'un régime alimentaire moyen et des limites de dose individuelle.
La contamination maximale fixée pour les produits alimentaires est de :

  • 370 Bq/kg pour le lait ;
  • 3 700 Bq/kg pour les produits laitiers ;
  • 3 700 Bq/kg pour les pommes de terre et la viande.

Après la catastrophe de Tchernobyl, la Communauté Européenne établit des limites de contamination pour les échanges de produits alimentaires intracommunautaires et avec des pays tiers.

Le règlement CEE 1707/86 (remplacé en 1990 par le règlement CEE 737/90) interdit ainsi d'importer dans la Communauté Européenne des denrées alimentaires contenant :

  • plus de 370 Bq/kg de césium 137 pour le lait et les aliments pour nourrissons ;
  • plus de 600 Bq/kg de césium 137 pour toute autre denrée alimentaire.

Ces limites ferment le territoire européen à une part importante des denrées alimentaires issues des territoires affectés par la catastrophe.

Des normes de plus en plus restrictives

Les normes soviétiques sont révisées en 1987, 1988 et 1990 et deviennent de plus en plus strictes. En 1990, elles sont de :

  • 370 Bq/kg pour le lait et les produits laitiers ;
  • 600 Bq/kg pour les pommes de terre ;
  • 740 Bq/kg pour la viande.

 Enfin, en 1990, après avoir proclamé son indépendance, la République de Biélorussie introduit des normes de consommation nationales encore plus drastiques :

  • 185 Bq/kg pour le lait et les produits laitiers ;
  • 592 Bq/kg pour les pommes de terre et la viande.

L'attitude et les réactions des populations après l'accident de Tchernobyl

La ville fantôme de Pripyat

Le projet JSP-2 (Joint Study Project 2) mis en œuvre entre 1992 et 1994 dans le cadre d'un programme de coopération scientifique CEE-CEI a permis de mener des enquêtes de terrain auprès de populations ukrainiennes et biélorusses affectées par les conséquences de l'accident de Tchernobyl (135 personnes interviewées en Ukraine et une centaine de personnes interviewées en Biélorussie).

Ces études ont permis d'éclairer la façon dont la population civile a vécu la transition entre la gestion d'urgence et la phase post-accidentelle. Elles ont, en particulier, mis en évidence la façon dont a progressivement émergé la prise de conscience d'une contamination durable de l'environnement. Elles ont également montré l'influence de la gestion accidentelle et de la gestion post-accidentelle de court terme sur la situation à plus long terme.

Les effets pervers de la gestion post-accidentelle

Nettoyage des rues d'une ville proche de Tchernobyl peu après l'accident
Nettoyage des rues d'une ville proche de Tchernobyl peu après l'accident

La gestion post-accidentelle mise en place par les autorités (secret et censure, contraste entre un discours se voulant rassurant sur l'ampleur des évènements et un déploiement exceptionnel de moyens, absence de lien entre la population et les autorités mettant en œuvre les mesures post-accidentelles, …) entraînent un effondrement de la crédibilité des autorités politiques, scientifiques et médicales. Les experts internationaux ne sont pas épargnés par ce discrédit du fait de la reconnaissance tardive des effets sanitaires de l'accident de Tchernobyl au niveau international (les effets de l'accident de Tchernobyl sur la thyroïde ne seront reconnus qu'en 1994 au niveau international, alors qu'ils sont observés depuis 1989). Cette perte de confiance est renforcée par le recours des autorités nationales et de certains experts internationaux à des explications psychologiques des problèmes vécus par les populations (concept de "radiophobie", explication des effets sanitaires par le stress des populations, …).

Dans ce contexte de défiance vis-à-vis du dispositif d'action public, les habitants des territoires contaminés développent un sentiment de résignation, de forte perte de maîtrise sur leur vie quotidienne et d'incapacité à agir sur la situation.
 Cette fracture entre la population et les autorités intervenant dans la gestion post-accidentelle va provoquer dans la population un sentiment profond d'abandon et d'isolement. Dans ce contexte, les tentatives des autorités et de la communauté internationale de mettre en place une action de communication sur les risques demeureront inopérantes, en raison même de l'absence de confiance dans les autorités.

La population face à l'accident

Nettoyage des rues d'une ville proche de Tchernobyl peu après l'accident
Nettoyage des rues d'une ville proche de Tchernobyl peu après l'accident

La gestion accidentelle et post-accidentelle soviétique est menée sous le signe du secret et de la censure. Toutefois, l'ampleur des moyens déployés fait comprendre à la population des territoires proches de Tchernobyl (y compris la ville de Kiev) que des événements graves sont en train de se produire. En outre, la nature des moyens déployés (en particulier l'intervention de l'armée) inscrit la gestion post-accidentelle de court terme dans une atmosphère de guerre.

La population est alors prise entre le discours lénifiant des autorités soviétiques (la situation est sous contrôle) et une réalité des actions beaucoup plus inquiétante : passage d'hélicoptères, bruits d'explosions, nettoyage des rues, évacuations, … On assiste également à l'éloignement des familles de certains responsables.

Cette différence entre le discours des autorités et la réalité vécue par les populations contribuera fortement à une perte de confiance très importante dans l'ensemble des autorités politiques, scientifiques et médicales.

La prise de conscience d'une contamination durable du territoire

Radioactivité! Contrôle radiologique obligatoire des champignons et baies
Radioactivité! Contrôle radiologique obligatoire des champignons et baies

Pour la population des territoires contaminés, la contamination de l'environnement constitue un phénomène nouveau et puissamment inquiétant du fait de son caractère invisible et diffus. Cette réalité est de plus difficile à appréhender dans la mesure où elle n'est pas directement perceptible. La connaissance de la réalité de la contamination nécessite des outils et des concepts techniques auxquels les populations n'ont pas véritablement accès (unités techniques, appareils de mesure, …).

Les actes les plus simples (repas, loisirs, …) mettent les personnes au contact de la contamination. Cette dernière fait ainsi irruption dans la vie quotidienne des populations sans que celles-ci aient la capacité d'agir pour se protéger, ou simplement d'évaluer la situation.

Une forte inquiétude au sujet de la santé

Les enquêtes menées dans le cadre du projet JSP-2 montrent que, de façon bien compréhensible, une très forte inquiétude au sujet de la santé s'est développée au sein de la population. Les individus interrogés évoquent des personnes décédant brusquement, sans signes avant-coureurs, de multiples pathologies de la thyroïde chez les enfants et une baisse des défenses immunitaires. Elles rapportent également une diminution des capacités d'attention et de concentration des enfants, qui ont amené les enseignants à diminuer la durée des leçons dans les écoles.

L'augmentation des cancers de la thyroïde est mise en évidence dès 1992 à travers des publications de médecins biélorusses tels le professeur Démidtchik. Ce dernier établit une relation entre le passage du nuage radioactif de Tchernobyl et les augmentations des cas de cancer de la thyroïde. Cependant, à cette époque, le lien entre ces pathologies de la thyroïde et l'accident de Tchernobyl n'est pas reconnu par les experts internationaux.

Les populations n'ont pas reçu d'information sur les possibles effets différés (qui peuvent apparaître après plusieurs années) de l'exposition aux rejets radioactifs pendant l'accident de Tchernobyl. La population des territoires contaminés attribue alors à la contamination résiduelle (à long terme) de l'environnement l'ensemble des effets sanitaires qui apparaissent et se développent. Lors des enquêtes menées dans les territoires contaminés ukrainiens dans le cadre du projet JSP-2, la majorité des personnes interrogées ont le sentiment que les effets sanitaires ne feront qu'augmenter avec le temps ("la catastrophe est un arbre qui pousse" ; "une guerre se termine, mais ici, il n'y a pas de fin").

La radiophobie : une notion sans pertinence clinique

Panneau "danger, radiations" dans un territoire contaminé
Panneau "danger, radiations" dans un territoire contaminé

En 1987, les autorités soviétiques ont recours à la notion de radiophobie, en expliquant le malaise des populations et leur défiance vis-à-vis des décisions officielles par le développement de peurs irraisonnées.

Les enquêtes de terrain menées dans le cadre du projet JSP-2 ont démontré que cette hypothèse n'avait pas de pertinence clinique. En effet, si des inquiétudes se développent effectivement chez les populations des territoires contaminés, elles se fondent sur la confrontation à une situation radiologique objectivement inquiétante et à un phénomène de contamination réel, bien qu'invisible. Ces inquiétudes s'appuient également sur des témoignages ou des observations, en particulier auprès de proches souffrant de pathologies diverses. Ce phénomène d'inquiétude ne peut donc être assimilé à une phobie, pathologie psychique associée à une peur irraisonnée et sans fondement, où un individu cristallise des angoisses sur des objets le plus souvent familiers et non dangereux.

L‘utilisation de la notion de radiophobie, qui constitue une négation de l'existence de causes réelles de l'inquiétude des populations, contribue à renforcer la défiance des populations vis-à-vis des autorités scientifiques et médicales.

Les difficultés rencontrées par les populations relogées

Une maison abandonné dans la zone d'exclusion
Une maison abandonné dans la zone d'exclusion

Outre les personnes vivant dans les territoires contaminés, les populations évacuées et relogées sont également confrontées à des difficultés importantes. Les nouveaux logements sont situés dans des villages, mais également dans certains quartiers de grandes villes. L'évacuation représente une fracture dans la vie des personnes relogées, qui ont un sentiment de perte irréparable de leur territoire natal d'autant plus aigu que leur départ n'a pas été volontaire.

En outre, les personnes relogées sont souvent confrontées à l'inquiétude ("Jamais je n'épouserai une "Tchernobylienne") ou à la jalousie (du fait des différentes primes et compensations dont les relogés bénéficient) des habitants des localités de relogement.