Introduction
Dans le cadre du programme gouvernemental de prévention de la légionellose, l’Autorité de sûreté nucléaire, en liaison avec la Direction générale de la santé (DGS), a fixé en 2005 des niveaux à ne pas dépasser pour la concentration en légionelles dans les grandes tours aéroréfrigérantes (TAR) des circuits de refroidissement des centrales nucléaires, tours qui relèvent du régime des installations nucléaires de base (INB). Ce courrier précisait également les modalités de surveillance associées et celles à mettre en œuvre en cas de dépassement des niveaux fixés.
Ces niveaux et ces modalités de surveillance diffèrent de ceux applicables aux TAR relevant du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Cette différence, justifiée à l’origine par une démarche en partie fondée sur la démonstration qu’à concentration en légionelles égale dans les circuits, une grande tour conduit à une concentration maximale en légionelles dans l’environnement au niveau du sol plus faible qu’une petite tour, fait néanmoins aujourd’hui encore l’objet de débats techniques et le caractère spécifique des grandes TAR des centrales nucléaires n’est pas clairement établi (cf. avis de l’ANSES du 17 mars 2006).
L’ASN a informé en 2012 EDF de son intention de fixer aux circuits de refroidissement des grandes TAR des centrales nucléaires une limite de colonisation maximale, cohérente avec la réglementation applicable aux TAR ICPE (rubrique n° 2921 : installations de refroidissement par dispersion d’eau dans un flux d’air).
Les conditions apparaissent aujourd’hui réunies pour traduire ces objectifs dans la réglementation :
- la réglementation applicable aux TAR ICPE a récemment été révisée (l’arrêté du 14 décembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l’enregistrement au titre de la rubrique n° 2921 de la nomenclature des ICPE est entré en vigueur le 1er janvier 2014) ;
- dès à présent ou à court terme (2015-2017), pour la grande majorité des sites[1], la concentration en légionelles dans les circuits sera de l’ordre de celle visée dans les installations ICPE ;
- les conséquences environnementales associées au traitement à la monochloramine sont, de manière générale, de plus en plus limitées grâce aux efforts d’optimisation d’EDF et au contrôlé exercé par l’ASN depuis 2006.
Présentation du projet de décision
Ce projet de décision de l’ASN à caractère réglementaire porte sur la prévention des risques microbiologiques liés aux installations de refroidissement du circuit secondaire des réacteurs électronucléaires. Il recherche autant que possible l’alignement des exigences applicables aux grandes TAR des centrales nucléaires avec celles applicables aux TAR ICPE, en particulier l’adoption d’un seuil maximal de colonisation en légionelles de 100 000 UFC/L, tout en s’intégrant dans le cadre de la réglementation générale et de l’exploitation des INB.
Certaines dispositions applicables aux TAR ICPE n’ont toutefois pas été en reprises en l’état. Il s’agit notamment, pour limiter l’impact environnemental en période hivernale de la décision, de la définition du seuil de la concentration enLegionella pneumophilaà viser (il est proposé de fixer ce seuil à 10 000 UFC/L au lieu de 1 000 UFC/L), de l’obligation de mettre en œuvre un traitement préventif de l’eau pendant toute la durée de fonctionnement de l’installation (la pratique actuelle est de traiter les circuits en période estivale, période favorable à la prolifération de ces micro-organismes) et des actions à mener en cas de prolifération des légionelles au-delà de la concentration de 100 000 UFC/L hors période de mise en œuvre du traitement préventif (soit en période hivernale).
Ces différences sont justifiées dans la mesure où :
- certaines dispositions du projet de décision sont plus contraignantes que celles applicables aux ICPE :
- la performance des dévésiculeurs[2] des grandes TAR des centrales nucléaires est supérieure à l’objectif fixé par la réglementation applicable aux ICPE (taux d’entrainement vésiculaire inférieur à 0,003% pour les grandes tours contre 0,01% pour les tours ICPE) ce qui limite la dispersion par les grandes tours des légionelles dans l’environnement par rapport aux tours ICPE à concentration en légionelles équivalente dans l’eau de l’installation ;
- la fréquence de surveillance de la concentration enLegionella pneumophilaproposée dans le projet de décision (tous les quinze jours ou une fois par semaine dès le premier dépassement du seuil de 10 000 UFC/L) est plus importante que celle de la réglementation applicable aux TAR ICPE (mensuelle ou tous les quinze jours en cas de dépassements multiples consécutifs du seuil de 1 000 UFC/L), ce qui limite dans le temps le risque de prolifération des légionelles au-delà de 10 000 UFC/L.
- pour les résultats d’analyse mettant en évidence une concentration enLegionella pneumophilasupérieure ou égale à 100 000 UFC/L liés à l’absence de traitement préventif de l’eau, la mise en œuvre d’un traitement curatif immédiat (chloration massive ou monochloramination) permettra un abattement rapide (en moins de 24 heures) de cette concentration sous le seuil d’alerte ;
- l’application stricte des exigences applicables au TAR ICPE, étant donné la qualité et le débit de l’eau d’appoint des centrales nucléaires, serait à l’origine d’un impact environnemental important (notamment lié au traitement préventif en période hivernale).
Enfin, compte-tenu de la similitude du risque amibien avec le risque « légionelles » (risque microbiologique lié aux circuits de refroidissement, traitement à la monochloramine…), et afin d’homogénéiser et de préciser les exigences figurant actuellement dans la réglementation individuelle des centrales nucléaires, l’ASN a également souhaité adopter des dispositions relatives à ce risque.
Délais d’application
L’application de certaines dispositions du projet de décision nécessite, à l’exception de la situation particulière de Civaux, que l’exploitant dispose de stations de traitement à la monochloramine, ce qui n’est pas aujourd’hui le cas à Belleville, Cruas et pour deux réacteurs à Dampierre. De plus, le retour d’expérience montre qu’il faut au moins deux campagnes de traitement estival complètes pour limiter significativement le risque de remontée de la colonisation en légionelles au-delà de 10 000 UFC/L en cas d’arrêt du traitement en période hivernale.
Le planning prévisionnel de la mise en application de certaines dispositions nécessitant la mise en œuvre d’actions curatives serait donc le suivant :
- Cattenom en 2016 ;
- Cruas en 2017 ;
- Dampierre (réacteurs 2 et 4) en 2021;
- Belleville en 2022.
Impact environnemental du projet de décision
L’augmentation des rejets associés à la mise en application de la décision est, pour les sites mettant déjà en œuvre un traitement préventif, en moyenne de 10% pour la mise en œuvre des actions curatives dès l’atteinte de la concentration de 10 000 UFC/l en période hivernale (cet impact peut toutefois varier, selon les sites et les années, entre 0 et 30%).
Pour le cas particulier de Civaux, le retour d’expérience montre que le nombre de chloration devrait être limité et cohérent avec le nombre de chlorations d’ores et déjà autorisées sur une année.
L’impact chronique cumulé des traitements biocides de l’ensemble des réacteurs d’un bassin versant restera acceptable. Néanmoins, pour les réacteurs du Val de Loire, un impact aigu limité et ponctuel n’est pas exclu en cas de chloration massive réalisée en période d’étiage sévère mais des dispositions réglementaires existent dans la réglementation générale des INB pour encadrer ce type de situation (notamment l’article 2.3.7-IV de la décision n° 2013-DC-0360 du 16 juillet 2013 relative à la maîtrise des nuisances et de l'impact sur la santé et l'environnement des installations nucléaires de base).
[1] À cet horizon, seuls les réacteurs de Dampierre 2, Dampierre 4 et les deux réacteurs de Belleville auront encore des colonisations significatives (pas de stations de traitements disponibles).
[2] Les tours aéroréfrigérantes sont équipées d’un dispositif, constituant un passage obligatoire du panache, permettant de limiter le nombre de gouttes d’eau potentiellement contaminées.